mercredi 30 septembre 2015

La démocratisation de la généalogie est-elle un bien ?



C'est une question un peu polémique, je sais… mais voilà, à la suite de l'article « Le généalogiste évolue » j'ai réfléchi à ce sujet car je me suis demandé s'il n'y avait pas un problème chez certains historiens, comme dans toutes les sciences, avec l'accessibilité des savoirs.
L'universitaire vous répondra toujours qu'il est pour l'accessibilité des savoirs, leur diffusion, mais ne peut-on pas, parfois, lui rétorquer qu'il est pour la diffusion des savoirs si c'est lui qui en est à l'origine ?

Le généalogiste a cette fâcheuse tendance de vouloir toujours tout vérifier. Il voit une mention d'un contrat de mariage dans une thèse qui a pourtant reçu la mention « très honorable avec les félicitations » et il va quand même vérifier que le docteur ne s'est pas trompé dans son diagnostic ! C'est sûr, ça crée des conflits, mais là n'est pas le sujet de cet article (vous me connaissez, de fil en aiguille je change presque toujours de sujet).

Si je me suis interrogé sur cette démocratisation de la généalogie, cela vient du constat que nous faisons tous, à savoir qu'il y a une multiplication à l'infini des bases de données généalogiques en ligne qui se copient/collent les unes les autres, qui alignent des noms et parfois plus d'erreurs que de dates. Alors que les archives départementales ont quasiment toutes fait un effort considérable pour donner accès aux registres paroissiaux et d'état-civil par Internet (pour le plus grand bonheur des généalogistes), la généalogie devient plus aisée, du moins dans la quête des « trois actes » et n'importe qui peut se lancer dans cette activité avec plus ou moins de passion.

N'importe qui ! Vous vous rendez compte ! Même moi… Car il faut le dire, je n'ai rien du généalogiste qui tente de prouver sa noblesse, je n'ai rien du retraité frétillant et sautillant de dépôt en dépôt aux dépens de sa pension, je n'ai rien non plus de l'érudit local, cet honorable homme (ou femme) qui connaît l'étymologie de chaque lieu-dit et peut remonter les générations et établir les liens de parenté au 6e degré de mémoire.

Non, moi c'est juste Thomas, avec des aïeux dispersés, qui ont la fâcheuse manie de se cacher, de migrer, qui sont en plus (les malotrus !) des roturiers, des pêcheurs, des paysans, des artisans ou même des bourgeois. Bref, je suis de cette nouvelle génération de généalogistes qui n'apportent rien à l'histoire des Grands (ou supposés grands) ; je n'en ai rien à carrer de la généalogie de madame la Marquise, ou du comte de Roquefort-la-Bédoule. La généalogie médiévale me fait autant d'effet que la géologie du Swaziland. Avoir des ancêtres nobles m'est indifférent. Bref, je suis issu de cette démocratisation. Si, aujourd'hui, je suis apprenti-historien, je différencie suffisamment la généalogie et l'histoire, même si les deux disciplines doivent travailler ensemble. L'histoire est une science, sociale certes, mais une science. La généalogie est un art. Et c'est un art que tout un chacun peut maîtriser. Je serais malvenu d'interdire l'entrée à de nouveaux généalogistes parce qu'ils commettent des tonnes d'erreurs ; ils apprennent. Je serais malvenu d'interdire la pratique de la généalogie sous prétexte que certaines personnes ne vérifient jamais leurs données : la généalogie est un art et une passion. On ne peut interdire à quelqu'un de peindre, par contre on peut refuser d'aller à son exposition.

Je préfère encore le généalogiste qui se trompe au généalogiste qui ment. Car les généalogies pseudo-nobiliaires du XIXe siècle et d'avant sont pour certaines des falsifications. Je préfère encore le généalogiste qui fait du « copillage » et qui diffuse l'assemblage plus ou moins juste de ses recherches en libre accès sur Internet que l'érudit qui fait de la compilation d'anciens érudits et qui vous vend le « machin ».

Il y a des tonnes de catégories de généalogistes. Chacun mène sa barque comme il l'entend. C'est comme aimer chanter sous sa douche : certains pourraient faire l'Eurovision et d'autres chantent bien. On ne va pas aller vous interdire de chanter sous la douche… Eh bien c'est pareil pour la généalogie.

Cependant, la démocratisation ne veut pas dire que le généalogiste qui se prétend apprenti-historien, ou le généalogiste qui veut devenir sérieux, doit copier bêtement sur les autres. Si Nicolas Poussin avait pris exemple sur mes toiles de maternelle, il aurait probablement fini sur le bûcher (ou aurait été financé par Fleur Pellerin, au choix).
Ce que je déplore est triple :
- La copie simple d'autres arbres
- Le manque d'initiative
- L'entre-soi

Examinons un instant ces trois éléments :
1. La copie simple d'autres arbres. C'est un sujet déjà traité et si je déplore cet aspect, c'est moins sur le vilain généalogiste nouvel arrivant qui copie un arbre (c'est un débutant, laissez-le donc prendre ses marques) que le généalogiste averti qui copie. Si je le déplore c'est que souvent, ledit généalogiste, par acquis de conscience, cite sa source. Il cite tel ou tel arbre sur Geneanet. Il faut le dire : Ce n'est pas une source fiable. Le généanaute se trompe régulièrement car la paléographie ce n'est pas évident, car parfois il tient ces informations de secondes mains (associations par exemple), ce qui fait que votre information n'est pas très sûre. S'il s'agit d'actes anciens (avant l'ordonnance de Villers-Cotterêts), de généalogies médiévales ou autres, la source de seconde main est souvent la seule consultable ou du moins déchiffrable, encore faut-il arriver à différencier l'arbre généalogique de Mme Michu et la thèse du Professeur Untel : mais là encore, c'est l'expérience qui forge l'esprit. Mon conseil est de vérifier systématiquement (quand cela est possible) et de citer directement l'acte car souvent, vous aurez des surprises.

Bon, passons aux vrais critiques :

2. Le manque d'initiative. Vérifier les données des autres, c'est bien, innover, c'est mieux. C'est en cherchant à compléter les généalogies préexistantes dans les registres que vous fournirez un vrai travail digne d'un historien. Avez-vous remarqué que sur Geneanet, presque tous les arbres finissent à la même génération ? C'est parce que souvent, le généalogiste manque d'initiative. Il faut se salir les mains, que diable ! Il faut aller au charbon : feuilletez ces satanés registres, ces liasses ! Faites de l'inédit (surtout si vous habitez près d'un dépôt d'archives). Je prends un exemple que je connais bien, le mien (quel égocentrique, celui-là…) : pour mon mémoire je reconstitue des familles marseillaises ; pour la plupart ce sont des travaux totalement inédits parce que personne ne s'est intéressé, non pas à ces familles, mais à la recherche en archives. J'ai posté, sur un forum de généalogistes du Nord une proposition d'entraide : je fais pour vous des recherches aux AD13 contre des recherches aux AD59. J'ai reçu la réponse d'un gentil bénévole qui s'est proposé, sans contrepartie, de m'aider. Mais je me suis demandé si personne près de Lille n'avait d'ancêtres dans les Bouches-du-Rhône. En fait, mon idée, c'est que le généalogiste se repose trop sur ce qu'il trouve sur Internet. Il ne faut pas que les BMS et les NMD nous rendent fainéants. Il faut aller au-delà de l'état-civil et au-delà des simples assertions de généalogistes qui n'ont peut-être même pas consulté les documents… Il faut innover car c'est ainsi qu'on fait progresser la connaissance.

3. L'entre-soi. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : cela m'insupporte. Il y a quelques années, j'ai remarqué que j'avais des ancêtres et des cousins dans la base Roglo. Mais j'ai été vite refroidi quand j'ai cru percevoir un entre-soi de gens issus de la noblesse plus ou moins immémoriale (et plus ou moins mémorable). Ca m'a rappelé le Bottin Mondain, l'ANF, le Jockey ou pire l'Association des Vieux Noms Français Subsistants (tout un poème, il faut que j'écrive un article sur cette association !). Heureusement, j'ai communiqué en 2009 avec le très sympathique A. Euverte (qui nous a malheureusement quitté) et j'ai ajouté ma branche dans Roglo puis suis devenu "Ami" de la base. Depuis mon regard a changé car il y a une ouverture sur cette base malgré, toujours, une obsession mondaine de certains. Aujourd'hui, cette base de plus de 6 millions de personnes arrive à joindre toutes les familles. Je trouve, du coup, que cette base gagne en intérêt historique et n'est plus seulement un simple annuaire mondain. Du coup, j'échange avec un "magicien" de la base, très aimable et efficace, et lui transmets des généalogies que j'ai établies. L'entre-soi est un peu une plaie en généalogie car c'est vain et futile. C'est nier la mobilité sociale, c'est nier la mobilité géographique, c'est croire en une historiographie totalement dépassée notamment sur ces villages ou quartiers où tout le monde serait cousin depuis toujours. Non, quand on étudie l'histoire des familles, on se rend compte que les liens existent entre différentes strates sociales, que les gens bougeaient beaucoup. C'est ainsi que dans Roglo, où toutes les personnes sont liées, on peut désormais trouver des rois et des paysans. Je tiens d'ailleurs à féliciter les "magiciens" de Roglo pour leur travail acharné sur cette base et pour cette ouverture sur l'autre qui mériterait, malgré tout, d'être davantage creusée.

Le généalogiste, vous le voyez, se heurte à de nombreux problèmes et la démocratisation, cette ouverture, peut en conduire certains à être laxistes et d'autres à s'enfermer. Il faut accepter le partage de l'art de la généalogie et je crois bien que le réseau dense de blogs généalogiques, par ses articles, notamment méthodologiques, est d'un grand secours pour l'amateur qui n'est pas encore éclairé. Les associations ont aussi un grand rôle à jouer. Car nous sommes face à une révolution avec les archives en ligne et cela bouleverse totalement la donne. S'ouvrir, c'est permettre à tout un chacun de participer à l'œuvre généalogique. On parle souvent de l'Arbre Universel : il existe. Il est sur Internet, chaque généalogiste contribue à le créer s'il innove, s'il ajoute même simplement sa branche en créant un arbre sur Geneanet. L'Arbre Universel ne se trouve pas en un seul lieu, il est partout dans l'œuvre des généalogistes. En cela, la démocratisation de la généalogie est une bénédiction car, si chacun appose sa pierre à l'édifice, l'on pourra passer à autre chose que les registres paroissiaux et d'état-civil, voire même des notaires et l'on pourra se tourner vers ce qui en effraie certains et en réjouit d'autres : l'Histoire.

vendredi 25 septembre 2015

Le généalogiste évolue, j'vous l'dis ma bonne dame !



Comme je l'ai déjà annoncé sur le blog, je suis en pleine reprise d'études, me trouvant à devoir rédiger un mémoire d'histoire pour juin. Conclusion : peu de temps à consacrer à la généalogie à proprement parler.

Cependant, je reviens ici pour pousser un mini coup de gueule contre certains historiens. Lors d'un de mes cours j'entends un professeur dire : « Il faut aller aux archives, vous y croiserez même de simples généalogistes » ou en lisant un article scientifique lire en substance que la généalogie c'est pô bien parce que c'est un alignement de noms et de dates en lignée agnatique.

Alors non, mesdames et messieurs les historiens, le généalogiste n'est plus (que) le gentil retraité qui profite de son temps libre pour passer une journée de temps à temps à farfouiller dans des registres paroissiaux aux archives départementales. Vous savez, le minitel, c'est fini… Aujourd'hui, les généalogistes ont accès aux registres paroissiaux et d'état-civil en ligne et la collection de dates, de lieux et d'aïeux est devenue tellement aisée que la plupart de ces « simples généalogistes » partent en quête d'autre chose. Mais de quoi ?

Eh bien je vous le donne dans le mille : le généalogiste, quoi qu'on en dise, est devenu apprenti-historien. Quand il va aux archives, c'est pour fouiller les minutes notariales, c'est pour traquer dans les inventaires les références à ses ancêtres (ou aux ancêtres d'autrui), il mène une enquête tout comme l'historien. Et même, oserai-je dire, il est parfois plus efficace que l'historien dans la reconstitution des familles, car, si le généalogiste ne problématise pas sa recherche comme le ferait l'historien, il est passé maître dans la fabrication de liens familiaux et même extra-consanguins.
Le généalogiste est diablement efficace. Il connaît les outils, il connaît les associations généalogiques, il sait traquer le travail déjà fait sur telle ou telle famille, il peut même parfois vous dire d'où vient une famille rien qu'en regardant son patronyme (si, si, j'vous jure, ça m'est arrivé l'an dernier, je suis allé voir une fille dont j'avais entendu le patronyme : « Tu viens de Lille, toi — Mais comment tu sais ça ? — La généalogie, mademoiselle, la généalogie ») . Il étudie les branches collatérales, il connaît sa généalogie cognatique, il cherche à étoffer la vie des femmes comme des hommes, bref, il sait y faire.
Aujourd'hui le généalogiste lit. Il lit de plus en plus de travaux historiques scientifiques ; même s'il aura toujours une tendresse pour Stéphane Bern et Jean-Louis Beaucarnot il trouve qu'ils sont quand même un peu faibles quand on creuse… il se tourne vers les maîtres de conférences, les Professeurs, il lit des articles scientifiques, il maîtrise mieux Gallica que les étudiants de Master qui se demandent encore ce que ça peut bien être, etc.
Le généalogiste cherche à comprendre et il n'est pas loin de problématiser. Il veut comprendre pourquoi telle personne est témoin à tel acte, pourquoi machin est le parrain de machine. Pourquoi, comment, en quoi, voilà le début des phrases des généalogistes d'aujourd'hui.
Le généalogiste est capable de vous dire dans quel fonds trouver tel acte, il sera meilleur que la quasi-totalité des apprenti-historiens en paléographie, il a des rudiments de latin, il a développé par sa pratique un instinct. S'il n'a pas la connaissance de l'historiographie, s'il n'a pas la connaissance de la méthodologie historique, il n'en reste pas moins un être capable de surprendre. Certes, il n'entre pas dans le champ, il ne vient pas du milieu universitaire. Et alors ?
Je rêve du jour où l'historien associera le généalogiste à ses recherches car le généalogiste a beaucoup à apprendre de l'historien, mais l'historien a aussi beaucoup à apprendre du généalogiste.

Heureusement, il y a des historiens, de très grands historiens, qui sont conscients que le généalogiste n'est pas un simplet qui aligne des noms de père en fils depuis les calendes grecques. Même s'il aligne les noms, chers lecteurs du blog, je vais vous faire une confidence : certains historiens, même parmi les plus grands, quand ils tentent de reconstituer une famille ont souvent comme premier réflexe d'aller regarder sur… Geneanet.

Comment lutter contre ces préjugés ? Ce n'est pas évident, je dois l'avouer. J'avais, jadis, publié un article (sur over-blog) sur les clichés concernant les généalogistes à partir d'un article de la FFG qui était un article-cliché sur les jeunes (du genre qui dit « généné-génénéalogie »).
J'ai donc pris la résolution, de temps en temps, de publier un article de méthodologie historico-généalogique. Je parlerai d'un sujet précis et je donnerai des pistes de recherches, des bibliographies qui serviront autant au généalogiste qu'à l'apprenti-historien. Je n'ai pas plus de légitimité qu'un autre à le faire (et même j'en ai moins qu'un maître de conférence ou qu'un professeur d'université) mais me lira qui voudra et je laisserai même certains historiens se gausser de mes futures erreurs.